5 - Jean-Paul Wenzel

Publié le par MICHEL GIBE

Jean-Paul Wenzel, metteur en scène

 

 

Auteur, acteur, metteur en scène et directeur avec Arlette Namiand de DORENAVANT CIE depuis Février 2003. Co-directeur avec Olivier Perrier du CDN Les Fédérés à Montluçon de 1985 à 2002.

Comédien : Formé de 1966 à 1969 à l’Ecole Nationale du TNS. A joué avec les metteurs en scène : Robert Gironès, Peter Brook, Philippe Goyard, Michel Raskine. Et au cinéma avec : René Allio, Gisèle Cavali, Aki Kaurismaki, Gérard Blain;

 

 

L’enfance de l’homme

 

Ce que m’inspire avant tout La Strada, au -delà de la fable sociale dont rendait compte le film néo-réaliste de Fellini, c’est son caractère archaïque, un conte comme ceux de Grimm qui font ressurgir en nous un flot de terreurs enfantines, un conte sur « l’enfance de l’homme » où Gelsomina incarnerait notre part irréductible d’innocence, de pureté, tandis que Zampano incarnerait notre être sauvage, quasi-animal, indomptable et indomptée, « couple » maudit, magnifique, dévasté, inapte à articuler son destin, à déchiffrer cette grammaire du néant social où ils se tiennent. Il est un homme qui les voit, un funambule qui, même s’il marche entre terre et ciel, connaît cette grammaire et en use, c’est le Fou. Il sait qu’il fascine Gelsomina (c’est l’ange qui danse dans le ciel, dans le vide). Il sait sans doute  qu’en lui apprenant à jouer de la trompette il l’entraîne hors du champ d’influence de Zampano, il sait aussi qu’en se moquant de lui, il convoque en retour sa bestialité, sa violence.

 

Ce qui me touche dans cette histoire, c’est précisément cette poésie des êtres comme une page blanche contre laquelle viendrait inexorablement buter la mécanique du destin, quelque chose qui relèverait du secret des hommes, leur face oubliée, cachée, obscure, indicible… notre petite musique, comme celle, entêtante que joue Gesolmina.

 

Quand Michel, Annie et Suzy m’ont parlé d’un chapiteau, de la présence d’animaux, quand ils m’ont montré leur travail préparatoire (une énorme jument blanche tractant le plateau tournant, une poule qui attaque la mère de Gésolmina lorsqu’elle lui retire l’un de ses poussins, Boudu le chien noir, faisant, une lanterne dans la gueule, le tour de la piste dans le chapiteau éteint pour marquer les ellipses, ou encore l’idée d’un funambule marchant tête en bas sur le fil…), j’ai aussitôt pensé que tout était là pour créer une poétique singulière à partir de la Strada, qui renverrait le film de Fellini, l’espace de la représentation, au fond commun de notre mémoire lointaine.

 

Et puis je voudrais dire aussi qu’il y a dix ans, j’ai écrit une pièce La Fin des monstres, que j’ai mis en scène sous un chapiteau à Avignon. Elle racontait en première lecture la chute d’un petit cirque familial d’Europe de l’Est, en seconde lecture on pouvait y voir la métaphore de la fin d’un art poétique qui faisait lien, communauté, au profit de sa marchandisation, qui délie et renvoie l’art du cirque ou du théâtre, l’art vivant, à une identité de produit consommable, on dit produit culturel. En troisième lecture, plus souterraine, on pouvait y voir me semble-t-il là aussi, quelque chose  de l’enfance de l’homme, sa part inaltérable.

 

Ce qui me rapproche secrètement de l’aventure de la Strada et des Zampanos.

Jean-Paul Wenzel

 

Photos : Christian Bès

Publié dans zampanos

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